Enseigner à la prochaine génération de cuisiniers

Née dans une famille ukrainienne au cœur de Montréal, Anne Yarymowich, chef de cuisine devenue enseignante dans un collège culinaire, a commencé très jeune à faire des expériences de cuisine locale et ethnique.
Des années plus tard, Anne Yarymowich a obtenu un diplôme de beaux-arts de l’Université d’Ottawa, puis s’est inscrite au programme de gestion culinaire du George Brown College.
Une fois diplômée, elle a réuni son amour des arts et sa passion pour la nourriture en accédant au poste de chef de cuisine du restaurant de l’AGO, à Toronto, qu’elle a occupé pendant 17 années couronnées de succès. Effectuant un retour aux sources, sa carrière l’a ramenée à son alma mater, où elle enseigne maintenant son art aux cuisiniers de demain.
Nous nous sommes entretenus récemment avec Anne Yarymowich, curieux de savoir quelle valeur elle accordait à sa formation culinaire et quels avantages elle en avait tirés, mais aussi de quelle façon elle met son expertise et sa nostalgie d’ancienne étudiante au service des jeunes à qui elle enseigne.

Vous avez suivi le programme d’hôtellerie et d’art culinaire du George Brown College. Qu’avez-vous appris de plus utile durant cette période à laquelle vous faites encore référence?
J’ai tellement appris de choses durant cette période. Auparavant, j’avais travaillé dans un établissement bas de gamme. Tout était donc totalement nouveau et intéressant pour moi. J’étais passablement naïve à propos de l’industrie de la restauration. Tout ce que je savais, c’est que j’aimais cuisiner.
J’ai énormément apprécié mes cours de théorie des aliments. Le professeur, M. Lough, était un véritable expert et avait une attitude très inspirante. Ce cours m’a poussée à approfondir mes connaissances, à acquérir des qualités et des compétences comme la discipline et l’organisation et à apprendre ensuite le raffinement et les techniques classiques.

Et vous voilà aujourd’hui enseignante dans le même programme culinaire. Quels sont les principaux changements que vous avez observés dans l’éducation culinaire par rapport à vos années étudiantes?
Une des changements les plus remarquables concerne la qualité des produits alimentaires que les étudiants reçoivent. La variété et l’abondance des ingrédients bruts se sont aussi grandement améliorées.
Tout le programme a été revu de façon à refléter la croissance de l’industrie, tandis que le niveau de passion et d’expertise des chefs instructeurs demeure du plus haut calibre. Nous avons un corps enseignant incroyable. Chaque professeur fait preuve d’un profond engagement à l’égard de son art et de ses étudiants.

Pour Club House, la saveur compte avant tout. Croyez-vous que l’on puisse enseigner l’assaisonnement? Si oui, comment procédez-vous pour enseigner quelque chose d’aussi subjectif que la façon de reconnaître une bonne saveur?
Bien sûr que cela s’enseigne, comme toute compétence. Tout comme on peut enseigner la pratique de l’exercice physique, on peut guider les étudiants dans l’exercice de leur palais et le développement du goût. Les principales techniques consistent à poser des questions, à donner des directives et à encourager les étudiants à goûter et à manger consciemment. Il faut prendre pleinement conscience des saveurs, des textures, des températures, de l’aspect visuel et des sons, dans un processus qui sollicite tous les sens.
Cette méthode peut amener les étudiants à prendre davantage plaisir à manger, à choisir leurs aliments de façon plus sélective et à analyser les nouvelles saveurs qu’ils essaient. Je les incite à mettre leur cerveau et leurs sens à contribution, et à réellement réfléchir à ce qu’ils goûtent. Je veux qu’ils se posent des questions. Est-ce épicé, sûr, doux, amer? Quels sont les composants de saveur qui entrent en jeu? Est-ce qu’on pourrait les rehausser ou les modifier?

Quelle est la leçon primordiale que vous aimeriez que les futurs chefs tirent de leur passage au George Brown College?
Selon moi, ils doivent apprendre avant tout le plaisir, réellement découvrir la joie, la beauté et l’émerveillement de l’art culinaire. L’industrie comporte tellement d’aspects difficiles (les longues heures de travail, l’épuisement physique, etc.). Pour que cela vaille la peine, nous devons y trouver quelque chose qui nous passionne. Je souhaite que les étudiants abordent leur carrière dans la restauration armés d’un désir de trouver leur place dans l’industrie et d’une véritable passion pour ce qu’ils font. C’est l’amour du métier qui nourrira leur motivation.

Le mentorat et les stages ont toujours occupé une grande place dans le parcours des cuisiniers. Croyez-vous qu’ils soient encore pertinents dans notre monde numérique?
Absolument, surtout dans une discipline aussi sensorielle que la cuisine. On peut regarder une vidéo d’une personne qui exécute une recette, mais on ne sait rien tant qu’on n’a pas essayé soi-même, avec ses propres mains, yeux et nez. C’est une expérience totalement différente.
Rien ne peut remplacer l’apprentissage auprès d’une personne qui a intégré des trésors de connaissances dans sa mémoire corporelle. Ces personnes peuvent nous transmettre toute une gamme de nuances qu’aucun ordinateur ne peut exprimer. Internet demeure une source d’information incroyable et très précieuse, mais rien ne vaut un apprentissage pratique dans le cadre d’un mentorat individuel.

Comment préparez-vous vos étudiants à leur première cuisine à titre d’apprentis?

La courbe d’apprentissage est très abrupte. Nous devons avant tout leur enseigner des compétences, mais aussi l’autodiscipline, l’écoute attentive et l’appréciation de la beauté des expériences fugaces.
Dans ce type d’industrie, il faut se réserver de nombreux moments de calme et de concentration. Il ne faut pas s’attendre à toujours pouvoir exprimer sa créativité ou exécuter quelque chose de spectaculaire, mais plutôt s’employer à reconnaître les nombreuses petites expériences qui font les grandes et apprécier la beauté, l’utilité et l’incidence de ces occasions apparemment mineures, avec énormément de patience et de conscience. Il faut simplement vivre l’instant qui passe.

Quelle est la meilleure chose que puisse faire un jeune cuisinier prometteur pour produire des mets excellents et s’assurer de durer dans une industrie aussi concurrentielle? Comment un jeune cuisinier qui sort de l’école peut-il trouver l’équilibre entre confiance en soi et humilité? 

Les jeunes cuisiniers prometteurs doivent rester au courant de ce qui se fait, aller souvent au restaurant et connaître les tendances culinaires. Ils doivent se concentrer sur leur travail, mais aussi sur celui des autres. En outre, il faut lire, et beaucoup. Il y a tellement de renseignements en ligne et hors ligne. Les livres sont tout aussi importants qu’Internet. Il faut apprendre en lisant ce que d’autres ont écrit et en se renseignant sur l’actualité du monde de la restauration et du monde en général. Rester au courant, mais continuer d’évoluer.
Posez des questions intelligentes. Ce faisant, vous avouez ne pas tout savoir et vous respectez le savoir des autres, tout en pratiquant l’écoute active. Ayez confiance en ce que vous produisez, sans toutefois hésiter à solliciter des commentaires. Après tout, c’est une excellente façon d’apprendre. Humilité et confiance en soi : vous devez découvrir votre propre équilibre entre ces deux vertus. 

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